RAP
désespéré
Sous le pont Mirabeau coule la Seine et nos amour...
Guillaume Apollinaire
1.
Qui est l'ancêtre ?
Pour qui ?
Qui est le prêtre ?
Pour qui ?
Qui est le maître ?
Pourquoi ?
Je ne suis pas un traître
de moi.
Pas d'amour la Seine coule sous les pont
je demeure on me prend pour un con
"choisissez la mutuelle" "choisissez votre kiné"
Rien à foutre j'ai même pas choisi d'être né
je n'ai pas choisi
ni ma ville ni mon pays
ni mon père ni ma mère
ni tous ces gens du ministère
quand l'enfant est venu
tout déjà était au menu
ni ce régime ni ce gouvernement
ni la police ni les établissements
ni les guerres ni les Choah
ce n'est pas mon choix
J'ai pas voté pour ces lois
j'ai une religion je n'ai pas de foi
toi Jesus vous Pierre et Paul
le prêtre pédophile j'en ai ras-le-bol
on ne vote que pour éviter Le Pen
sans tout ça ce n'est pas la peine
je veux choisir
mon travail mon loisir
mes copines et mes copains
et le reste c'est pas la peine
on m'a mis bas
tellement bas
et on veut que j'adhère à tout ça
on exige ma loyauté
et moi je vais péter
les plombs
dans ce monde en plomb
avec ces cercueils en zinc
où seulement on sera zen
dans ce monde en acier
dans ce monde à chier
au coeur moisi
que je n'ai rien choisi
ni ma couleur ni ma race,
ni ma langue ni ma place
ni mon corps ni mon zizi
je n'ai rien choisi
je n'ai pas dessiné ces frontières
j'ai jamais demandé ça aux tiers
je n'ai pas construit tous ces murs
je n'ai pas embauché tous ces durs
Qui est l'ancêtre ?
Pour qui ?
Qui est le prêtre ?
Pour qui ?
Qui est le maître ?
Pourquoi ?
Je ne suis pas un traître
de moi.
Mon banlieue, mon enfance en 1970
On vivait, les enfants insouciants et heureux,
sur ce terrain vague. La banlieue,
les clôtures, l'arrière-cour.
La ruelle coiffé d’herbe drue
nous gardait une vie crue
et les pommes vertes assez immangeables.
Pour ces petits sauvageons on vendait l’âme au Diable.
Mais était-ce un péché -
les chaparder à l’aide d’un long crochet
dans le jardin de la Vieille ?
« Sauve qui peut ! Elle arrive ! »
Nous voltigions comme des petits moineaux.
En courant j’ai perdu ma sandale
dans la boue du fossé
à jamais.
A jamais…
***
Mes chemins de faire et mes gares de triage.
C’est le printemps. Les clopes humides.
L’errance des wagons vagabonds,
Les talus ressuis, la pluie,
l’érable misérable sous cette douche froide.
La terre, ce crapaud
qui coasse : le son utérin et humide.
L’abîme du ciel en papier buvard trempe et s’affaisse.
Misérables et brumeux
sont mes arrières-cours bienheureux
noyées dans la chute des nuages.
Mes chemins de faire et mes gares de triage.
***
L’hiver s'achève, la neige s’en va en ruisseaux.
L'eau du printemps. Un brise-glace HLM, ce lambin à trois cent cabines,
démarre sur l’ensemble des ruisseaux du quartier.
Le triple hourra, les pavillons de linge sur les balcons :
la flottille municipale devient folle.
Les croiseurs des immeubles
s'en vont en ligne de file.
Et derrière l’horizon,
au dessus des maisons,
se lève l’archipel de l’aube.
***
La tapisserie est simple. C'est douillet.
Ce cadre sur le mur est vide.
Y a quelque chose très fine : quenouille et file ?
La veilleuse minuscule
se perd dans l’immense crépuscule,
mais rajoute tout de même son lait tiède.
Il fait froid dehors, ici c’est bien chauffé.
J’ai dit « Tous comptes fait,
le pire est derrière nous. »
Ramolli, paresseux, je ne regarde pas la piaule,
ni le cadre
où se tiennent Pierre et Paule,
les visages penchés en tristesse.